jeudi 5 février 2009

Les "frères" de Jérusalem

Dans les dernières années du régne de Tibère, c'est-à-dire vers 36 ou 37 selon notre calendrier, un bruit se répandit parmi les groupement juifs épars à travers l'Empire et y sucsita un inérêt frémissant.
Tout était alors calme en ce monde méditerranéen que Rome, en trois siècle, avait refondu selon ses principes. Tout, dans l'immense empire, donnait une impression d'ordre et de fixité. Sans doute, volontairement reclus aux rochers de Capri, où douze villas de luxe s'étaient bâties pour son plaisir, l'empereur, plus que septuagénaire, dépensait-il le reliquat de sa vie en débauches et en amusements cruels, et, saoule de bassesses et de délations, l'aristocratie sénatoriale regardait-elle, anxieuse, dans la direction de l'île d'où ne lui parvenaient guère que des arrêts de mort. Mais les fantaisies sanglantes du vieillard misanthrope ne portaient point atteinte à l'équilibre de l'Etat; la ville était paisible, les provinces parfaitement soumises, et, sur les routes de l'eau et de la terre, le commerce prospérait à merveilles.
En Palestine aussi, la plus petite des parties de l'Empire, il ne semblait pas que rien d'exceptionnel se passât. L'ordre régnait à Jérusalem, sous l'autorité méfiante et parfois brutale du procurateur impérial Ponce Pilate. Acceptant de gré ou tolérant par force la tutelle romaine, la communauté juive menait, comme toujours depuis cinq siècles, sa minutieuse vie de rites et d'observances, selon les préceptes rigides de la Thora et sous le vigilant contrôle du sanhédrin. Qui donc eût pu penser que cette obscure nouvelle, aussitôt que connue, que "l'aile de l'oiseau" portait aux quatre coins du monde, était appelée à en bouleverser les assises et que, moins de quatre cents ans plus tard, elle apparaîtrait à tout l'Empire comme la révélation de la vérité ?

Cet extraordinaire message émanait d'un petit groupre de Juifs de Jérusalem. Pour qui les rencontrait sur les parvis sacrés ou dans les montueuses ruelles de la Cité sainte, rien ne les distinguait des autres fidèles. Leur foi était même extrêmement vive et exemplaire : on les voyait tous très assidus au Temple, assemblés d'ordinaire sous le Portique de Salomon (Actes 5, 12 et 3, 11 ; cf. aussi Jean 10, 23), récitant chaque jour les pieuses tirades des Dix-huit bénédictions au lever du soleil et à la neuvième heure, observant le sabbat (*) et toutes les prescriptions rituelles, jeûnant même deux fois la semaine (**), selon la coutume ancestrale des Pharisiens.


* On lit dans st Matthieu (14, 20) : « Priez pour que votre fuite n’arrive pas en hiver, ni un jour de sabbat. » Au temps du Christ on observait donc le rigoureux repos sabbatique.

** Les disciples de Jésus, de son vivant, s'étaient vu reprocher de ne pas jeûner. A quoi le Maître avait répondu : «Les compagnons de l'époux peuvent-ils jeûner pendant que l'époux est avec eux ? Aussi longtemps qu'ils l'ont avec eux, ils ne peuvent pas jeûner. Mais viendront des jours où l'époux leur sera enlevé et, en ce temps-là, ils jeûneront.» (Marc 2, 19-20). Dans l'Eglise primitive, on trouvera cette coutume du jeûne bi-hebdomadaire, qui avait été introduite par la secte pharisienne, ainsi qu'on le voit par le monologue du Pharisien du Temple dans le fameux du Pharisien et du Publicain. (Luc 18, 12).

Ils n'appartenaient pas aux classes dirigeantes, n'avaient pas d'accointance avec les princes des prêtres et les anciens du peuple. A peine voyait-on quelques rares notables, tel Nicodème, entretenir avec eux des relations bienveillantes. Pour la plupart, c'étaient de petites gens, le tout-venant du troupeau, des am-ha-arez pour tout dire, de ceux que scribes instruits et riches Sadducéens tenaient en suspicion et en mépris. Maints d'entre eux étaient galiléens d'origine, ce qui, à Jerusalem, s'entendait du premier coup à leur manière d'accent auvergnat. Mais il y en avait aussi des autres cantons de Palestine, comme des plus lointaine colonies juives en pays infidèles, du Pont et de l'Egypte, de la Libye et de la Cappadoce ; on trouvait même parmi eux des Romains et des Arabes : curieux ramassis !
On les voyait souvent se réunir à part, pour des cérémonies dont les apparences demeuraient juive, mais auxquelles ils prêtaient une nouvelle signification. Tels étaient, par exemple, leurs repas en commun, où les rites antiques se trouvaient bizarrement interprétés. Entre eux régnait une grande harmonie. Ils s'étaient d'abord appelés disciples, parce qu'ils avaient eu un maître, un fondateur ; puis une autre expression leur avait semblé mieux convenir à la mystérieuse communion qui scellait leur entente, et, désormais, c'était du mot frères qu'ils se désignaient.
Cependant, ils ne formaient pas une secte, telle qu’on en connaissait diverses en Israël. Ils n’affectaient pas l’extérieure austérité des Pharisiens, qu’on rencontrait sans cesse, les « phylactères » au front, les vêtements endeuillés, la démarche consciencieusement grave, et ils ne passaient pas leur temps à épiloguer sur les mille et quelques préceptes qui régissaient le repos du sabbat. Ils ne fuyaient pas non plus le monde, comme ces groupements d’Esséniens qui, dans les solitudes de la mer Morte, avaient installés de vraies formations conventuelles, multipliaient les jeûnes, renonçaient aux femmes, ces végétariens vêtus de lin blanc. Ils ne s’étaient même pas constitués en synagogue indépendante, en kénéseth, comme la loi y autorisait tout groupe minimum de dix fidèles et, comme avaient fait maints noyaux juifs venus des colonies lointaines qui, en dehors des cérémonies collectives du Temple, aimaient à prier Dieu entre compatriotes. Les gens de cette tendance ne cherchaient point à s’isoler, à se reclure : tout au contraire ; ils se montraient ouverts à tous, et leurs chefs, sans cesse, appelaient les âmes pieuses à rejoindre leur petite troupe.

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