samedi 2 mai 2009

Comment connaissons-nous Jésus ?


Le mystère de Jésus
Un homme a donc vécu, dans un temps parfaitement fixé, sous les règnes d'Auguste et de Tibère ; son existence est un fait incontestable. On l'a connu, travaillant de ses mains, charpentier au copeau sur l'oreille, poussant la varlope et jouant du marteau. On l'a vu marchant sur tel chemin qu'on peut nous indiquer encore, mangeant le pain, l'olive, parfois le poisson qui est la gourmandise de son peuple, et le soir, étendue sur la natte de jonc ou dans le hamac de cordage, on l'a trouvé dormant, recru de fatigue, homme parmi les hommes, tout semblable à chacun de nous. 
Pourtant, il a dit les mots les plus surprenants qu'on puisse entendre : qu'il était le Messie, le témoin providentiel par qui le peuple élu devait être établi dans sa gloire et son achèvement ; plus étonnant encore, qu'il était le fils de Dieu. Et on le crut. Il se trouva des gens pour l'escorter sur les routes de Palestine où sans cesse il pérégrinait. Les prodiges sortaient de ses mains avec une aisance déconcertante. Nombreux furent ceux qui espérèrent de lui la délivrance politique d'Israël. Mais tout illuminé n'a-t-il pas ses fanatique ? 
Mettant le comble à ces scandale de l'esprit, cet homme s'est effondré tout d'un coup, sans opposer de résistance. Or, loin de se laisser décourager par une telle faillite, ceux de sa bande s'en allèrent de par le monde entier donner à sa divinité un témoignage signé de sang; et depuis lors, l'humanité, faisant de cette défaite la preuve d'une victoire, se prosterne devant le gibet de son supplice, tout comme si, demain, une religion proposait à la vénération des foules l'abjection de la guillotine. 
Le mystère de Jésus n'est rien de moins, rien de plus, que le mystère de l'Incarnation. Qu'importent les petites difficultés sur lesquelles on écrit des volumes de gloses ! Qu'on ne sache avec précision ni l'année de sa naissance ni celle de sa mort, qu'on identifie mal sa bourgade originelle, qu'il y ait des difficultés dans sa généalogie, qu'on puisse discuter sans fin de son aspect physique, tout cela, et le reste, n'a d'importance que seconde et dans d'étroites perspectives. L'essentiel tient dans l'énigme que nous pose cet homme semblable à nous, dont les mots et les gestes engagent à tout instant des forces inconnaissables, ce visage crispé par l'agonie où transparaît la face de Dieu. 
Jésus est de l'histoire, mais dépasse l'histoire. A considérer le nombre et la convergence des documents qui le concernent, l'abondance des manuscrits qui nous ont transmis son Évangile, on doit honnêtement dire qu'il n'est aucun personnage de son temps sur lequel nous soyons aussi bien renseignés. Pourtant, "signe de contradiction", comme il l'annonça lui-même, il demeure l'occasion d'une dispute millénaire, que chaque génération croit utile de reprendre à d'autres frais. Que cet homme du petit peuple, sans culture profane, renouvelle, d'un seul coup, les bases de la philosophie et ouvre au monde futur un champ de pensée inconnu, que cet humble fils d'une nation déchue, né dans l'obscur canton d'une petite sous-province romaine, ce Juif sans nom, pareil à tant que les procurateurs de César méprisaient, parle d'une voix si forte qu'elle couvre celle des empereurs eux-mêmes, ce sont là des surprises que l'histoire peut encore admettre. 
Mais sa vie, telle qu'elle nous fut dite, est tissue de miracles ; tout y éclate d'une évidence surnaturelle. Et ces faits surprenants peuvent si peu être détachés e l'étoffe de son existence que, pour les supprimer, il faut déchirer cette étoffe même, nier cette existence entière, mettre en doute la parole de tous ses témoins.
Plus étonnant enfin : cette vie achevée au supplice repart dans une perspective stupéfiante. Ce mort renaît : il parle, il agit, il se montre à ceux qui l'avaient connu vivant ; et ce suprême défi à la logique, ses disciples diront qu'il est pour eux le témoignage le plus formel, le plus incontestable. « Si le Christ n'est pas ressuscite, criera saint Paul, notre prédication est vaine, et vaine aussi votre foi ! » (I Cor., XV, 14). L'histoire doit refuser le christianisme ou accepter la Résurrection.
Ces seules difficultés expliquent-elles la violence et la hargne dont s'accompagnent tant de discussions concernant Jésus ? Il semble qu'on ne puisse parler de sa personne sans y mettre une passion où les intérêts de la connaissance ne sont pas seuls en jeu. Dans un autre domaine aussi il est « signe de contradiction ». Au plus profond de chacun son regard pénètre : il juge ; il sonde les reins et les cœurs. On est contre lui ou pour lui. Il est celui dont la voix oblige tout homme digne de ce nom à se redire : « Et toi, qui es-tu ?»
La morale a changé de sens depuis que, sur une colline, au-dessus du lac de Génésareth, il a prononcé les paroles des Béatitudes. Et désormais tout événement n'a de portée que par lui. Episode d'histoire qui dépasse l'histoire, la vie du Christ fait plus qu'acculer la raison à l'on ne sait quelle tragique humilité : elle est l'explication suprême et l'étalon auquel tout se heurte ; c'est par elle que l'histoire prend son sens et sa justification.
Ce qu'on su les contemporains
Si, à tout instant, la vie du Christ pose à qui l'étudie l'énigme de la nature divine transfigurant le caractère humain, il n'en est pas moins permis de la considérer comme on ferait de tout personnage historique, puisque le fait même de cette vie est le témoignage premier de la Révélation. Alors se pose le problème que l'historien rencontre au seuil de toute recherche : comment connaissons-nous l'homme que fut Jésus ? On a grandement majoré les difficultés qu'opposent à notre documentation les diverses sources, et trop de chrétiens même, aujourd'hui, leurrés par les assertions d'une critique prétendue "libre" ne mesurent pas assez la solidité des bases sur lesquelles s'édifie leur foi.
Le cadre où a vécu Jésus est éminemment historique ; les textes ne le situent pas dans un temps légendaire, aux horizons d'un passé nébuleux, comme font les traditions, touchant Orphée, Osiris ou Mithra. L'Empire romain du Ier siècle nous est connu avec une précision remarquable. De grands écrivains dont nous possédons l'œuvre ont produit, alors que Jésus était vivant : un Tite-Live, un Sénèque ; Virgile, s'il n'était pas mort à 51 ans, aurait pu le voir enfant. D'autres, Plutarque, Tacite, sont de la génération qui suit immédiatement la sienne.


Mieux : un très grand nombre de personnages que mettent en scène les récits concernant Jésus sont éclairés par d’autres documents d’histoire. Ceux, par exemple, que cite saint Luc au début du chapitre III de son évangile : Tibère, Ponce Pilate, Hérode, Philippe, les grands prêtres Anne et Caïphe, et Jean le Baptiste, dont Flavius Josèphe a rapporté l’apostolat et la mort ( Un seul, Lysanias, tétrarque d’Abilène, cité par saint Luc, nous est mal connu, bien que deux inscriptions, découvertes près d’Abil, confirment son existence). Et ce n’est pas tout ; les mœurs, les habitudes, tout cet ensemble de comportements qui date si bien une existence humaine sont, pour ce qui le regarde, exactement semblables à ce que nous pouvons observer en étudiant ses contemporains palestiniens.
Voilà donc un homme dont l’action se situe dans un milieu politique et social parfaitement étudié. Serait-il possible que toutes les traditions le concernant, si elles étaient mythiques, fussent exactes quant au cadre ? Il faudrait supposer que les évangélistes et les apôtres étaient tous des spécialistes du roman historique, et que, partant de documents d’ailleurs différents, ils ont pu reconstituer une figure qui, à travers toute leur œuvre, conserve une parfaite unité.
Pourtant ici apparaît un écueil. Les grands contemporains de Jésus ont-ils parlé de lui ? Non. La chose n’a rien de surprenant, si l’on replace dans ses justes perspectives un événement qui nous paraît immense par les conséquences qu’il eut. Nous avons peine à admettre que la vie, l’enseignement et la mort du Christ n’aient eu un retentissement tel que les bases du monde en dussent être, à l’heure même, ébranlées. En fait, cette histoire n’eut pas plus d’importance pour le citoyen de Rome vivant sous Tibère, qu’en aurait pour nous l’apparition de quelque obscur prophète à Madagascar ou à la Réunion.
Les pièces officielles de l'administration romaine gardent-elles traces de son existence ? On conservait à Rome deux sortes d'archives : les Acta senatus, comptes rendus des séances sénatoriales, et les Commentarii principis où étaient rassemblées toutes les correspondances envoyées au « Prince », à l’empereur. Nul résumé d’une délibération concernant le christianisme au Sénat. Y eut-il un rapport adressé à Tibère par Ponce Pilate sur "l’affaire Jésus" ?
C’est probable, mais nous ne l’avons pas. Saint Justin, le Martyr, écrivant vers 150 une Apologie du christianisme qu'il adresse à l'empereur Anonin le Pieux et à son fils Marc Aurèle, fait allusion à ces "Actes de Pilate" sans que, d'après son texte, on puisse comprendre s'il les a connus, ou s'il les a supposés (Pour appuyer sa démonstration de la passion de Jésus, saint Justin renvoyait aux actes "de ce qui s'est passé sous Ponce Pilate". Tertullien va beaucoup plus loin et, parlant du même rapport, il se le représente comme une véritable apologie de la religion chrétienne que Pilate, "déjà chrétien dans son for intérieur", aurait adressée à l'empereur, et la suite de laquelle Tibère aurait demandé au Sénat que la divinité du Christ fût officiellement reconnue. On peut croire qu'un tel document ait été chrétien. Quant aux « Actes de Pilate » dont parle Eusèbe, ils ont été publiés sur l'ordre de Maximus Daja, en 314, et très largement diffusés. Simples pièces de polémique anti-chrétienne, ils sont probablement aussi dénués de valeur historique que les premiers).
La seconde hypothèse semble plus vraisemblable, Tacite nous disant que les archives impériales étaient secrètes et que nul n'était admis à les consulter. Cinquante ans plus tard, Tertullien, le polémiste africain, considère que la phrase de Justin vaut affirmation et déclare que le jugement et la mort de Jésus avaient été rapportés par Pilate à Tibère. Au IVe siècle, de pieux faussaire, comme il y en eut bon nombre, inventeront ce document, mais, se trompant, mettront le nom de l'empereur Claude à la place de celui de Tibère.
Le silence des pièces officielles est-il total ? A l'automne de l'année 111, arrivait dans les provinces de Bithynie et de Pont, situées le long de la mer Noire, avec le titre de légat impérial, un homme de lettres considérable : Pline le Jeune. Une grande partie de son œuvre littéraire tenant, précisément, dans sa correspondance, il garda soigneusement copie des rapports qu'il adressa à son empereur, Trajan ; ainsi le secret des archives impériales fut-il, sur ce point, ouvert à la postérité. C'est un homme sérieux, intelligent, que Pline ; un écrivain ferme, pittoresque, parfois un peu précieux, et une administrateur minutieux. Au cours de l'année 112, il envoie à Trajan une lettre détaillée à propos des Chrétiens : il a reçu des dénonciations, il a fait arrêter des membres de la secte. Poussée jusqu'à la torture, en particulier dans le cas de deux «diaconesses», l'enquête n'a rien révélé de coupable: ces gens se réunissent, chantent des hymnes au Christ, s'engagent par serment à n'être ni voleurs, ni menteurs, ni adultères.
Aucun mal à cela. Mais les prêtres des dieux se plaignent : les temples sont désertés; les marchands de viande pour les sacrifices ne font plus d'affaires. Quelle conduite le magistrat romain doit-il tenir ? De cette lettre (et de la réponse de Trajan), ce qui appert, c'est qu'en ce temps, le christianisme existait déjà solidement sur le sol d'Asie Mineure, que les Chrétiens d'alors savaient tous qu'ils descendaient du Christ et qu'ils le tenaient pour Dieu.
Un peu plus tard, un rescrit de l'empereur Hadrien, adressé en l'an 125 au proconsul d'Asie, Minucius Fundanus, confirme le témoignagne de Pline. Le prédécesseur de Minucius a signalé des abus à l'occasion de divers procès antichrétiens : accusations qui provoquent des troubles, dénonciations bassement intéressées. Hadrien, empereur sage, décide que les accusateurs devront se présenter eux-mêmes et, s'ils ont accusé calomnieusement, on les punira.
Mais 112, 125, ces deux dates sont assez tardives, postérieurs de quatre-vingt-dix ans à la mort de Jésus. Aucun texte ne donne-t-il des précisions se rapportant à une époque plus proche de l'évènement ? Le plus important est de Tacite, c'est-à-dire de l'historien latin sans doute le plus solide, chez qui la sensibilité et l'imagination, pourtant vives, ne font pas entrave à une volonté critique rare en son temps, à une grande honnêteté dans la recherche du document. Tacite, qui écrit ses Annales vers 116, nous parle des Chrétiens à propos de l'incendie de Rome, en 64 :

« Une rumeur flétrissante attribuait à Néron l'ordre de mettre le feu. Pour y couper court, il supposa des coupables et livra aux tortures les plus raffinées ces hommes détestés pour leurs forfaits que le peuple appelait Chrétiens. Ce nom leur vient du Christ, qui, sous le règne de Tibère, fut condamné au supplice par le procurateur Ponce Pilate. Cette secte pernicieuse, réprimée d'abord, se répandait à nouveau non seulement dans la Judée où elle avait pris sa source, mais dans la Ville elle-même...»
Il raconte ensuite les horribles tortures infligées aux Chrétiens et, fort humainement, s'en indigne, mais tout le passage montre qu'il ne connaissait les Chrétiens que par ouï-dire et professait sur eux l'opinion commune. Cette hostilité même rend plus précieuse l'exactitude des deux lignes où il parle du Christ. D'où tenait-il sa documentation touchant Jésus ? 


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